Une silhouette trapue emboîtait le pas léger d’une créature élancée, elle perchée sur des chaussures impossibles, lui longeant les murs avec cette démarche raide qui le caractérisait. Tout semblait différencier Annunziata et Alec. Pourtant, dans leur artère coulait la chose le lien le plus important du monde de la nuit : le venin. Une chaîne perfide, sournoise, sinueuse. Une malédiction sacrée, aussi inviolable qu’un temple ancien par un fidèle aux vieux cultes.

Les mains dans les poches, le Volturi essayait d’oublier sa semaine de traque passive en compagnie de la vampire qu’il avait lui-même engendré. De malgré s’entend, bien évidemment. Jamais le petit vampire ne se serait permis une telle faute volontairement. Il s’était mis en position délicate vis à vis de ses maitres des causes de sa bien trop large confiance en lui. En cela, il était pareil à sa sœur, excessif et que de trop embué par son égo surdimensionné. Qui avait bien envie de devoir s’encombrer l’existence d’inconnus, d’à peine quelques jours à l’échelle de sa vie ?
Les Cullens.
Les réponses sautaient aux yeux. Un goût métallique se distilla dans sa bouche. Non. Il ne devait pas se comparer à ses renégats. Lui, était l’Athamé de la Justice, Eux, les aiguilles de l’Hérésie. Mais, les Volturi ne les voyaient pas comme ça. Du moins, pas Aro. Le Créateur voyait en Bella, Alice et Edward des opportunités inestimables, la Créature des cibles, des … concurrents ?

Secouement de tête. Sortit de sa torpeur rageuse par sa compagne, il se contenta de fixer le sol, détaillant la moindre fissure, le plus petit chewing gum écrasé, les marques noirâtres des cigarettes écrasées sur les pavés humides, encore entourées de leur odeur de vieux tabac.

J'ai la dalle ... Pas toi ?
Non. J’ai seulement Soif., railla-t-il, mécontent.
Ca fait trois jours que j'ai rien dégommé de vraiment humain .
Avec l’âge, ça n’arrivera plus, ... Regarde-moi, je ne m'abaisserais jamais à boire de la Sève pour Vampire ...
J'en ai marre des bisons . C'est un truc de Sojaddict'Cullen ça .

Sourire désabusé. Elle ne changerait jamais. Cela faisait des dizaines d’années qu’elle inventait des mots au fur et à mesure (ou plutôt, à l’usure d’Alec) de leur dialogue, son ton s’accordant avec les phrasés de l’époque. Il fixa une humaine policière qui s’agitait un peu plus loin tandis que l’Ann’ débitait ses babillages à la pelle :

Alec ... Fait pas ton rabat-joie , j'en ai marre des beaux blonds alors on va se prendre un Bloody Mary . Va donc chercher une bouteille de vodka dans ce bar , pendant ce temps je vais m'occuper de la p'tite brune qui pense protéger les gens là-bas ... Doit bien y avoir une ruelle sombre quelque part , on est dans le quartier des Alcoolos apparemment !

Tu fais toujours dans la théâtralité ! marmonna-t-il, agacé, Et, de toute évidence, tu as trop dégusté de russe, l’accool gâche complètement la saveur du sang … Autant ajouter du jus de pomme à un Sauternes 1855 !

Secouant les épaules de dégoût, il se stoppa et pinça ses lèvres, résigné. Quand il se promenait avec sa névrosée de compagne, il se passait toujours des évènements dont il devait rendre compte en Italie. Un sourire fendilla son visage figé. Au diable la prudence, une petite compétition de chasse stimulerait dithyrambiquement ses sens et délasserait son esprit crispé par l’attente.

Essaye de te faire discrète, ce qui veut dire : pas de hurlements de folle-furieuse pour la terroriser et tu remballes tes clones … C’est clair ?, ordonna-t-il avec presque automatisme.

Il lui jeta un regard lourd de sous-entendu, un mince sourire moqueur aux lèvres. Il savait pertinemment qu’elle détestait être privée de ses sens, particulièrement celui du touché, et si les choses devaient tourner à l’équilibrisme, il n’hésiterait pas à faire usage de son don. Croisant ses bras sur son torse étroit, l’enfant immortel fila jusqu’à un groupe d’ivrogne en face de la vitrine éclairée du bar assez mal famé. D’un claquement de doigt, ils se retrouvèrent un peu plus loin dans les limbes de la privation de conscience. Seul l’un d’entre eux, peut-être avec un verre de moins ingéré, s’agita un peu dans le vide avant de retomber sur le trottoir dans un gémissement. D’un mouvement habile des mains, il arracha la bouteille de verre qu’agrippait le plus sale des trois vieillards et revint aux côtés de la vampire.

Tâche de ne pas inonder ma partie de ce liquide répugnant …